Les alouettes naïves
Assia DjebarPREFACE
Un livre est le contraire d'un enfant. Sitôt qu'il paraît à la réalité après la gestation, on s'en détache. C'est mon cas, tout au moins.
Il m'est donc difficile de parler de ces Alouettes naïves, mon quatrième roman. J'ai mis deux ans pour l'écrire (par à-coups, quelques semaines de coulée, puis des arrêts soudains, comme des indifférences) ; j'ai laissé ensuite dormir le manuscrit un an quasiment.
Maintenant c'est fini, j'aimerais dire : "On n'en parle plus." Or justement un livre, c'est toujours à partir de ce moment qu'on en parle, ou mieux, qu'il tente, lui, de parler aux autres.
Pour y introduire, je n'ai pas d'intentions à exposer : ni claires ni simples. Ce livre existe, c'est tout, et je souhaite qu'il tienne sur ses jambes. Bien sûr, je dois en expliciter le titre : voici quelques années, en lisant Le Maghreb entre deux guerres de Jacques Berque, j'apprenais un détail : les danseuses des Ouled-Naïl en Algérie près de Bou-Saada étaient appelées par les sol-dats français "Alouettes naïves". Je demandai un jour à Jacques Berque les raisons de ce surnom. Il m'expliqua qu'il ne s'agissait que d'une déformation de pronon-ciation, ouled donnant "alouettes" et naïl "naïves". Un quiproquo avait donc fait jaillir cette image.